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Un « Evangile selon Rembrandt » : suis-je le « jeune homme riche » ? ai-je ma place parmi « les suffisants » ?

Cent florins-Louvre 1200px.jpg

Je relis quelques pages lumineuses de Paul Baudiquey. ( Un Evangile selon Rembrandt)
Un livre entier de méditations
sur cette petite gravure de 40×30 cm,
où Rembrandt a mis toute sa virtuosité minutieuse de graveur « aquafortiste »
et toute sa douloureuse compréhension de la vie et de la miséricorde de Dieu.

Capture d’écran 2017-08-07 à 19.43.20 copie.jpgRembrandt :
C’est parce qu’il est par excellence le peintre de la destinée humaine,
qu’il est le peintre du spirituel,
d’un « spirituel qui est lui-même charnel»,
comme le répétera inlassablement Péguy.

( Paul Baudiquey)


Il faudrait un an de ce blog pour méditer les plus belles pages de ce livre…
( pourquoi pas, d’ailleurs? )
ce livre qui est le fruit d’une vie douloureuse

J’ai rencontré le Père Baudiquey, qui est venu me voir, jadis, pour que je l’aide (techniquement…) à améliorer ses conférences audio-visuelles…
— Mais y avait-il quelque chose à améliorer ? — ceux qui ont assisté à ses soirées de projection extraordinaires en douteront, comme moi…

Depuis des années, ( dépensées à d’autres choses futiles…) je pense à faire et refaire sur ce livre sublime l’audio-visuel qui s’impose;
(…mais je commence sérieusement à douter…
de pouvoir faire tout ce que j’aurais du faire à temps…
Comme le dit joliment Jean-Francois Millet au moment de rendre à Dieu sa belle âme de paysan-travailleur acharné :
« Quel dommage  ! J’aurai pu encore travailler !  » )

rembrandt-van-rijn-dutch--saskia-lying-in-bed-c-1638-pen-H4KK57Aujourd’hui où je me sens (exceptionnellement…) plus grave que futile, entouré de gens et d’amis qui sont en train de mourir, …
je voudrais méditer avec vous sur le poids de l’âme que nous aurons à rendre, un jour.
« Et paix à ceux, s’ils vont mourir, qui n’ont point vu ce jour. » ( Saint John Perse)


Dans toutes les grandes œuvres que nous lisons, nous nous sentons proches ( un peu) de tous les personnages, les bons et les mauvais.
Nous sommes, ou nous aurions pu être, un peu de chaque…

Dans l’analyse de Rembrandt ( et de Baudiquey ) je ne sais pas pour vous, mais moi,  je me sens proche…

Le jeujne homme riche 2-Cent florins-Louvre 641646.jpg…du « jeune homme riche »
( moi qui ne suis plus jeune et — heureusement— pas très riche )

 

 

 

 

Erasme 2-Cent florins-Louvre 641646.jpg…et je me sens proche aussi de mon cher ami
Erasme, collectionneur de manuscrits, tiède et lâche dans les drames de la Réforme, mais indulgent, et ami de Thomas More… c’est assez flatteur si je pouvais lui ressembler.


Mais je voudrais, aujourd’hui, commencer par les pire
s ( dont je me sens proche )
LES SUFFISANTS extr2 Cent florins-Louvre 1200px.jpg

ceux qui sont à gauche du tableau, presque transparents
parce que la lumière du Christ n’arrivent pas aux « suffisants » dont l’âme satisfaite, selon le mot de Bernanos, a « peu servi ».

 

 

Ne le dites pas à mon confesseur, mais je me sens très concerné par ces pages terribles. !                                                                     MIchel Minc



Paul Baudiquey : LES SUFFISANTS et  LES INCERTAINS
( extrait de « Un évangile selon Rembrandt »)

Cette «page d’évangile» peut se lire comme une page du Livre, de la gauche vers la droite.

Cent florins-Louvre 1200px-coupé 805.jpg

A gauche, ceux qui font bloc de toute leur suffisance.
Rembrandt les a agglutinés autour d’une masse rocheuse qui peut évoquer l’endurcissement
et cet «aveuglement du cœur» qui rend inentamée la farouche assurance qu’ils ont en eux-mêmes.

« Possesseurs » de la vérité, ils sont « Docteurs en Israël ».

LES SUFFISANTS Cent florins-Louvre 1200px.jpg
Sept visages expriment toutes les nuances de l’incompréhension, de la dérision et du refus qui se détournent ostensiblement de Jésus, le coude avantageux, le ricanement à fleur de lèvres.

Nicodème LES SUFFISANTS extr2 Cent florins-Louvre 1200px.jpgUn seul regarde en direction de Jésus et semble oser un désaccord: on pense à Nicodème…

 

 

 

 

Ce groupe fut traité vers la fin de l’œuvre, à la façon d’une esquisse dont les contours ont à peine mordu le métal.
On dirait que Rembrandt a voulu silhouetter des figures sans véritable épaisseur: hommes de peu de foi, ils sont aussi de peu de poids.

Une fois de plus le langage de la gravure consonne à l’intention spirituelle de l’œuvre:
dénoncer l’illusion et le mensonge du «pharisaïsme»:
«sépulcres blanchis», dira Jésus,
« aveugles conducteurs d’aveugles ».

 

Ils vivent dans le faux-jour des apparences
et la lumière qui tombe sur eux ne doit pas faire illusion.

Cent florins-Louvre 1200px-coupé 805.jpgElle est froide et sans couleur, en contraste brutal avec l’ombre douce et veloutée, avec la chaleureuse tendresse qui baigne le reste de la page.

 

Capture d’écran 2017-08-07 à 17.13.10.pngCeux-là font bloc de toute leur suffisance.
Leur assurance n’est qu’en eux-mêmes.
Figures sans épaisseur, hommes de peu de foi, ils sont aussi de peu de poids.

 

Le clair-obscur, chez Rembrandt, n’a pas seulement valeur esthétique, mais valeur métaphysique et spirituelle. On songe à l’expression que donne Pascal de cette dualité ombre-lumière inscrite au cœur de l’homme:
« S’il n’y avait point d’obscurité l’homme ne sentirait pas sa corruption;
s’il n’y avait point de lumière, l’homme n’espérerait point de remède. »

LES SUFFISANTS extr2 Cent florins-Louvre 1200px.jpgCeux qui se croient sans ombre sont désertés par la vraie lumière, « celle qui éclaire tout homme venant en ce monde ».

 

 

 

 

Rien n’est plus étranger a l’esprit de l’Evangile – et à Rembrandt –
que la poursuite d’une sorte de « pureté» par le vide,
d’une asepsie morale qui cultive la vertu en vase clos:
orgueilleux privilège de ceux qui se croient différents du reste des hommes, « lesquels sont injustes, menteurs et adultères ».

ECLOPES Cent florins-Louvre 641646.jpg

Peut-on plus ostensiblement tourner le dos à la lumière?

Tourner le dos à la lumière-Cent florins-Louvre 641646.jpg

En cette frange extrême de l’ œuvre, nous sommes aux antipodes de l’évangile, car, comme le dit Péguy,

« ce qu’il y a de pire que d’avoir une âme mauvaise, c’est d’avoir une « âme habituée».

La page vaut d’être lue tout entière:

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«Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite.

Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme.
C’est d’avoir une âme toute faite.

Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse.
C’est d’avoir une âme habituée.

On a vu les jeux incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu.

Mais on n’a pas vu mouiller ce qui était verni.
on n’a pas vu traverser ce qui était imperméable,
on n’a pas vu tremper ce qui était habitué…

Les « honnêtes gens » ne mouillent pas à la grâce.
C’est que précisément les plus honnêtes gens,
ou simplement les honnêtes gens,
ou enfin ceux qu’on nomme tels,
et qui aiment à se nommer tels,
n’ont point de défauts eux-mêmes dans l’armure. Ils ne sont pas blessés.

Leur peau de morale, constamment intacte,
leur fait un cuir et une cuirasse sans faute.

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Ils ne présentent point cette ouverture
que fait une affreuse blessure,
une inoubliable détresse,

un regret invincible,
un point de suture éternellement mal joint,
une mortelle inquiétude,
une invincible arrière-anxiété,
une amertume secrète,
un effondrement perpétuellement masqué,
une cicatrice éternellement mal fermée.
Ils ne présentent pas cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché.

Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont pas vulnérables.

Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte rien.

Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout.

La charité même de Dieu ne panse point  celui qui n’a pas de plaies.

FETTI Domenico-The Veil of Veronica 1618-12.pngC’est parce qu’un homme était par terre
que le Samaritain le ramassa.

C’est parce que la face de Jésus était sale
que Véronique l’essuya d’un mouchoir.

Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé;
et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé. »

Charles Péguy

Tout cela, ces blessures que la vie nous fait, dont on ne guérit pas, ou dont on guérit mal, Rembrandt le sait déjà et l’apprend tous les jours.

4. Rembrandt Two Studies of Saskia Asleep.jpgDepuis 1642, Saskia est morte …
et cette même année la Ronde de Nuit reçoit un accueil très mitigé.
D’autres épreuves suivront, jusqu’à son dernier souffle,
qui le mettent à l’abri de tout pharisaïsme en même temps qu’elles font de lui
la victime désignée de tous les « bien-pensants »,
de tous les sûrs d’eux-mêmes.

visage Rembrandt -16548.jpg

Lui, qu’à la fin de sa vie on appelle « le Hibou » (il ne sort plus que la nuit),
s’entête à poursuivre la lumière au cœur de la ténèbre:
l’obscurité qu’on lui reproche ne vient pas de sa nature profonde, amoureuse de la lumière,
mais de la nuit qu’il explore.

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Il s’achemine vers la découverte d’un visage de Dieu qui est celui d’un père plus prodigue d’amour que son fils ne le fut jamais du gaspillage de lui-même.

Gréco-Christ mort & Trinité2.jpg

Il sait le retentissement de la passion du Fils dans les entrailles du Père et que c’est bien lui, le Père, qui a pleuré le plus.

Rembrandt-Fils prodigue5+++. 2.jpg

Engagé, corps et biens, dans une aventure picturale qui est celle d’un homme en quête de son humanité, il choisit les chemins sans retour.

On songe à Rimbaud:
« Le combat spirituel, plus rude que la bataille d’hommes…
Le sang séché fume sur ma face. »

Capture d’écran 2017-08-09 à 09.56.26.png

On songe à Bernanos:
« S’engager tout entier…
La plupart n’engagent dans la vie qu’une faible part, une part ridiculement petite de leur être, comme ces avares opulents qui passaient, jadis, pour ne dépenser que le revenu de leurs revenus…

La damnation ne serait-elle pas de se découvrir trop tard, beaucoup trop tard, après la mort, une âme absolument inutilisée, encore soigneusement pliée en quatre et gâtée comme certaines soies précieuses, faute d’usage ?

Mise au tombeau-Glasgow (1).jpgQuiconque se sert de son âme, si maladroitement qu’on le suppose,
participe aussitôt à la vie universelle,
s’accorde à son rythme immense,
entre de plain-pied dans cette communion des saints
qui est celle de tous les hommes de bonne volonté
auxquels fut promise la paix et dont Dieu seul sait les noms. »
                       (Georges Bernanos)

Capture d’écran 2017-08-07 à 17.13.10.pngIl y a ceux qui tournent carrément le dos,
 et se mettent en « marge »: un pas de plus et ils vont disparaître de l’image, s’effacer pour toujours, «fœtus d’hommes » dont l’âme n’a jamais servi.

Paul Baudiquey



 

 

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