Bien sûr, vous vous sentez interpellés, lecteurs de Baudelaire :
Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère…
Je voulais réfléchir avec vous sur les blogs et autres twitters,
ces bouteilles à la mer que nous lançons, sans savoir qui nous lit,
et si une seule personne nous lira…
Dans la littérature, jadis, quand on était un écrivain amateur, ou débutant, mais suffisamment fortuné, on faisait une « publication à compte d’auteur »
ça voulait dire que personne n’avait voulu nous éditer, mais que nous avions ainsi la satisfaction (dispendieuse) d’avoir le tome 1 de nos œuvres complètes, chez nous, sur une étagère, et de pouvoir en offrir quelques exemplaires (dédicacés) à nos amis.
Peut-être, dans la foule, une âme que j’ignore
Aurait compris mon âme, et m’aurait répondu.
(Lamartine – L’automne )
Dans nos solitudes (respectives et respectables), il me semble que les blogs (nombreux) que l’on reçoit où que l’on émet soient la version moderne de « la bouteille à la mer »…
La pénurie, la noosphère et l’explosion de l’information
Au XXe siècle, les enfants du baby-boom ont connu ( dans leur jeunesse) les dernières traces de la civilisation de la pénurie.
Nos parents récupéraient des bouts de ficelles, des boites de conserve vide ( ça pouvait servir )…
il y avait encore, dans les tiroirs, des tickets d’alimentation datant de la dernière guerre. On reprisait les chaussettes. On stoppait les bas. On allait chercher des pièces dans les Casse-auto.
Le moindre livre était précieux. (On en recevait pour la distribution des prix annuels…)
Les instituteurs, ( ou le chocolat Meunier ) nous distribuaient des images, à titre de récompense. On découpait même les images sur les emballages…
( Imaginez aujourd’hui, les tonnes d’images imprimées que l’on jette, chaque jour, dans nos poubelles d’emballages, …!)
Les photos étaient précieuses. On les fixaient soigneusement dans des albums reliés somptueux.
Des millions de selfies sont faites maintenant à chaque seconde…
La civilisation de la pénurie est en train de devenir incompréhensible pour nos enfants.
La musique, l’image, le livre, le dictionnaire, perdent chaque jour de la valeur… s’évaporent…informations obsolètes, encombrantes, zappées…
Nous assistons, sans y croire, à cette explosion de l’information, (ce cablage mondial de la noosphère de Teilhard de Chardin, )qui rend toute information immédiatement accessible, recopiable, et donc sans grande valeur…
On n’a pas fini d’écarquiller les yeux, hébétés, devant cette révolution, cette explosion sans précédent de l’information…
C’est comme si, ( pour vous qui conserviez jalousement quelques bouteilles dans votre cave, ) on installait devant votre maison, (et même dans votre maison), une fontaine de vin, avec les plus grands crus accessibles à volonté…
On ne devrait plus se poser de questions, puisqu’on a toutes les réponses. Le génie de la lampe répond instantanément à toutes nos sollicitations. Google sait tout…et c’est vrai! c’est de plus en plus vrai …Wikipédia est de plus en plus complet, corrigé, judicieux !
On n’a pas fini de s’étonner !
Jamais il n’a été si facile d’apprendre, (pour ceux qui ont envie d’apprendre, et qui savent quoi apprendre…)
« Il se dégage,
de ces cartons d’emballage,
des gens lavés, hors d’usage,
et sans aucun avantage !
( Alain Souchon – Foule sentimentale)
« Voyant la foule, Jésus fut pris de pitié pour elle,
parce qu’elle était fatiguée et abattue, comme des brebis qui n’ont point de berger ».
(Evangile selon St Matthieu 9-36)
Les naufragés sur leur île déserte reçoivent… trop de bouteilles à la mer!
Je crois qu’il y a, dans la foule solitaire, toujours beaucoup de naufragés, et qui sont toujours seuls, sur leur île déserte.
Il y a de plus en plus de naufragés, mais leur vie a beaucoup changé.
Hier, ils avaient l’habitude de parcourir chaque matin la plage de leur île, en cherchant des débris précieux, des messages à déchiffrer, venus des continents lointains…
Quelle chance de trouver, parfois, dans une bouteille, un message d’amour, le récit d’une vie, un évangile, un roman d’aventures, un appel au secours !
De quoi nourrir les méditations de Robinson pour encore vingt ans de solitude…
Mais aujourd’hui, quand Robinson foule la plage au matin, il ne trouve pas UNE bouteille, … il trouve des milliers de bouteilles, avec des milliers de messages, écrits distraitement, …
Dans chacune de ces bouteilles, il y a des photos, des milliers de selfies,
mais ce ne sont même pas des visages, recherchant l’amour,
ce sont …des milliers de nombrils fièrement exhibés, …
n’est ce pas un peu décourageant pour exciter ta libido, mon cher Robinson ?
Et pourtant, la solitude, LA SO-LI-TUDE ! ( Leo Ferré )
Les blogs, comment les trier ? comment trouver « la bouteille à la mer » que l’on attend ?
Le sonnet d’Arvers
Félix Arvers, un ami de Charles Nodier, a écrit UN sonnet, qui a fait sa petite gloire, et qui a ému tout le XIXe siècle:
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère,
Un amour éternel, en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j’ai du le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su…
Je pense que Félix a publié son sonnet « a compte d’auteur » parce qu’il était un amateur, inconnu… Aujourd’hui, il écrirait sur un blog. Serait-il lu par celle qu’il voulait toucher ?
Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas.
Tu vois, hypocrite lecteur, mon semblable, mon frêre,
ne te plains pas que ton blog ne soit pas lu !
Il y a deux siècles, quand c’était des sonnets publiés à compte d’auteur, c’était la même chose.
Peut-être, dans la foule, une âme que j’ignore
Aurait compris mon âme, et m’aurait répondu.
LE GRAND SECRET DE NOTRE VIE ?
Nous cherchons toujours l’amour et la lumière. Nos blogs sont des feuilles mortes qui s’envolent … elles portent notre sonnet d’Arvers, le grand secret de notre vie…
Tu nous a fait pour TOI , Seigneur
Et notre cœur est inquiet, jusqu’à ce qu’il repose en toi.
Saint Augustin – Les confessions
La route que nous parcourons dans le temps est jonché des débris de tout ce que nous commencions d’être, de tout ce que nous aurions pu devenir.
Henri Bergson
Rilke:La mort que cette vie comporte
Seigneur, donne à chacun sa propre mort,
La mort que cette vie comporte
Où il connut l’amour, le sens et la détresse.
Car nous ne sommes rien que l’enveloppe et la feuille;
La grande mort que chacun porte en soi,
Elle est le fruit, elle est le centre.
Rainer Maria Rilke
Un amour, un grand amour m’attend !
Ce qui se passera de l’autre côté,
quand tout pour moi sera basculé dans l’Eternité…
Je ne sais pas !
Je crois, je crois seulement
qu’un grand Amour m’attend.
Je sais pourtant qu’alors, pauvre et dépouillé
je laisserai Dieu peser le poids de ma vie.
Mais ne pensez pas que je désespère…
Non, je crois, je crois tellement
qu’un grand Amour m’attend.
Maintenant que mon heure est proche,
que la voix de l’Eternité m’invite à franchir le mur,
ce que j’ai cru, je le crois plus fort au pas de la mort.
C’est vers un amour, que je marche en m’en allant,
c’est vers son amour que je tends les bras,
c’est dans la Vie que je descends doucement.
Si je meure, ne pleurez pas,
c’est un Amour qui me prend paisiblement.
Si j’ai peur…et pourquoi pas ?
Rappelez-moi souvent, simplement,
qu’un Amour m’attend.
Mon Rédempteur va m’ouvrir la porte de la joie,
de sa Lumière.
Oui, Père ! voici que je viens vers toi comme un enfant,
je viens me jeter dans ton Amour,
ton Amour qui m’attend.
St Jean de la Croix