Dans « la Carte et le territoire » Michel Houellebecq s’étonne et s’interroge…
Prêtre catholique ? Il y a encore (quelques ) jeunes gens qui choisissent ce métier ?
Sa description du métier est intelligente, cruelle, réaliste, intriguée…

LA CARTE ET LE TERRITOIRE p99
(…) Cela rappelait à chaque fois à Jed ce « Bonne célébration ! »
que leur avait lancé un jeune prêtre, grassouillet et probablement socialiste,
alors qu’ils entraient sous le coup d’une impulsion irraisonnée, Geneviève et lui, dans l’église Notre-Dame-des Champs,
au moment de la messe du dimanche matin,
juste après avoir fait l’amour dans le studio qu’elle occupait alors boulevard du Montparnasse.
Plusieurs fois par la suite il avait repensé à ce prêtre,
physiquement il ressemblait un peu à François Hollande, mais contrairement au leader politique il s’était fait eunuque pour Dieu.

Bien des années plus tard, après qu’il se fut lancé dans la « série des métiers simples », Jed avait envisagé à plusieurs reprises de se lancer dans le portrait de l’un de ces hommes qui,
chastes et dévoués, de moins en moins nombreux,
sillonnaient les métropoles pour y apporter le réconfort de leur foi.

Mais il avait échoué, il n’avait même pas réussi à appréhender le sujet.
Héritiers d’une tradition spirituelle millénaire que plus personne ne comprenait vraiment,
autrefois placés au premier rang de la société,
les prêtres étaient aujourd’hui réduits, à l’issue d’études effroyablement longues et difficiles qui impliquaient la maîtrise du latin, du droit canon, de la théologie rationnelle et d’autres matières presque incompréhensibles, à subsister dans des conditions matérielles misérables,
ils prenaient le métro au milieu des autres hommes, allant d’un groupe de partage de l’Évangile à un atelier d’alphabétisation,
disant la messe chaque matin pour une assistance clairsemée et vieillissante,
toute joie sensuelle leur était interdite, et jusqu’aux plaisirs élémentaires de la vie de famille,
obligés cependant par leur fonction de manifester jour après jour un optimisme indéfectible.

Presque tous les tableaux de Jed Martin, devaient noter les historiens d’art, représentent des hommes ou des femmes exerçant leur profession dans un esprit de bonne volonté, mais ce qui s’y exprimait était une bonne volonté raisonnable, où la soumission aux impératifs professionnels vous garantissait en retour, dans des proportions variables, un mélange de satisfactions financières et de gratifications d’amour-propre.
Humbles et désargentés, méprisés de tous, soumis à tous les tracas de la vie urbaine sans avoir accès à aucun de ses plaisirs, les jeunes prêtres urbains constituaient, pour qui ne partageait pas leur croyance, un sujet déroutant et inaccessible.
Le guide French Touch, à l’opposé, proposait une gamme de plaisirs limités mais attestables.
On pouvait partager la satisfaction du propriétaire de La Marmotte Rieuse lorsqu’il concluait sa note de présentation par cette phrase sereine et assurée :
« Chambres spacieuses avec terrasse (baignoires à jacuzzi), menus séduction, dix confitures maison au petit déjeuner : nous sommes bel et bien dans un hôtel de charme. »
On pouvait se laisser entraîner par la prose poétique du gérant du Carpe Diem lorsqu’il présentait le séjour dans son établissement en ces termes:
« Un sourire vous entraînera du jardin (espèces méditerranéennes) à votre suite, un lieu qui bousculera tous vos sens. Il vous suffira alors de fermer les yeux pour garder en mémoire les senteurs de paradis, les jets d’eau bruissant dans le hammam de marbre blanc pour ne laisser filtrer qu’une évidence : « Ici, la vie est belle. » » etc
Michel Houellebecq – La Carte et le Territoire – p 99