
« Quelques pas…dans les pas d’un ange » c’est le beau titre du livre de David MacNeil, fils de Marc Chagall, que je vous invite à lire cet Eté…
Vous y apprendrez plein de choses…
… sur Picasso, Matisse, Cocteau, Vence, la Côte d’Azur…
et aussi les belles-mères cupides qui entourent les hommes célèbres quand ils vieillissent !
Vous y trouverez aussi une évocation émouvante des derniers feux de la spiritualité et de l’ART SACRE, dans l’Art d’Occident au XXe siècle.
Mais oui ! En 1950 encore, tous les grands artistes, Matisse, Cocteau, Soulages… voulaient honorer leur œuvre en peignant des églises ou en faisant des vitraux dans les cathédrales. Chagall y a fait ses plus beaux chefs d’œuvre.
Apparemment, ce n’est plus à l’ordre du jour…
Aujourd’hui, au vingt et unième siècle, les artistes-adorateurs de Mammon sont occupés à sculpter « le vagin de la Reine » et autres joyeusetés… qui en disent long sur l’élévation spirituelle de nos élites, entre Las Vegas et Abu Dabhi…mais passons !
Pour tous ceux qui veulent découvrir l’étonnante spiritualité et la diversité poétique de l’art de Marc Chagall, je vous ai fait une galerie de mes œuvres préférées.


Mais j’ignorais que Marc Chagall, peintre mystique,
éternel amoureux peintre des amoureux…
( souvenez vous dans « Coup de foudre à Notting Hill » le tableau avec… une chèvre, un violon, et deux amoureux ! …ça ne peut être que de Chagall ! )
… Chagall était aussi un poète.
Je viens de le découvrir en lisant ce petit essai universitaire d’une étudiante pleine de profondeur et de sagacité, qui s’appelle Ingrid ! Merci, Ingrid !

Dire Dieu, dire les dieux
Chagall : Sa réponse artistique et poétique à l’impossibilité de « dire Dieu »
Essai de Ondine Portier

Marc Chagall (1887-1985) est un artiste juif du 20e siècle, originaire de Russie et naturalisé français en 1937. Il est très connu pour ses peintures très colorées, lumineuses, oniriques et foisonnantes, rappelant le surréalisme, la modernité, le cubisme, sans pouvoir autant être rattaché à aucune école.

L’univers religieux dans lequel a grandi Chagall et sa propre spiritualité sont une inspiration capitale dans l’œuvre de Chagall. Son enfance en Biélorussie le plonge dans l’Hassidisme, courant judaïque (de l’orthodoxie juive) qui privilégie une « religion du cœur », c’est-à-dire une forte piété et l’amour des autres sans nécessiter aucune érudition. Le « Hassid », « homme pieux », a une profonde conscience de la présence de Dieu et voit dans toute chose terrestre son reflet. Cette religiosité a une dimension « artistique » car s’exprime souvent par le chant et la danse, dans un rapport joyeux à Dieu, le célébrant.

Le travail de Chagall est profondément marqué par ce courant, ainsi que par la lecture de la Bible. Il écrit lui-même (dans un texte destiné aux visiteurs de son musée à Nice) :
« Depuis ma prime jeunesse, j’ai toujours été captivé par la Bible. Il m’a toujours semblé, et il me semble encore, que c’est la plus grande source de poésie de tous les temps. Depuis lors, j’ai cherché ce reflet dans la vie et dans l’art. La Bible est comme une résonnance de la nature et ce secret, j’ai essayé de le transmettre. »
Il puisera dans la Bible de nombreux sujets de tableaux, participant à révéler le mystère divin.

D’ailleurs, bien que juif, Chagall fera souvent apparaître le Christ dans ses tableaux, car il verra en lui une figure du « juif sacrifié ».

À Nice, un musée national est consacré à son cycle du « Message biblique », composé de 17 tableaux dont le sujet est tiré de l’Ancien testament.


Chagall se place en « mystique poétique » en essayant de révéler l’irrévélable…
(étant juif, il n’est pas censé représenter Dieu directement, éviter l’iconographie)
…ou l’irrévélé, ce Dieu invisible, avec sa propre sensibilité, sa subjectivité, ses couleurs et ses symboles presque « surnaturels ».
Chagall le dit lui-même « Je suis un mystique, ma prière c’est mon travail ».
« Je suis un mystique,
ma prière c’est mon travail ».

En résulte son art tout à fait libre et poétique, subjectif, authentique et sincère. Chagall aura à cœur de répondre à l’impossibilité de peindre et révéler Dieu, à qui il dit dans un de ses poèmes « je ne sais pas comment te peindre ». En effet, comment l’artiste peut-il peindre l’invisible et révéler le mystérieux ?
Si ses tableaux sont très connus, aussi sa poésie l’est-elle beaucoup moins ; or, elle est capitale pour répondre à cette question.
En effet, Chagall écrit une poésie non seulement semblable à ses tableaux en termes de subjectivité, de liberté et de beauté, mais aussi en reflet de ceux-ci, les « illustrant » parfois.
Compte-tenu de l’immensité du travail de l’artiste, nous ne nous concentrerons que sur quelques œuvres pertinentes sur la question de « dire Dieu » (provenant du « Message Biblique » pour les tableaux).
« Ma prière est mon travail », écrit-il.
On peut dire, en effet, que les poèmes de Chagall sont aussi souvent des prières (étant souvent adressés à Dieu), de même que ses tableaux. En effet, Chagall peint un « monde qui prie », par la couleur, l’expression (souvent « endormie », « contemplative », « songeante ») de ces êtres énigmatiques et silencieux qu’il fait apparaître dans sa peinture.

L’on peut dire que ses peintures appellent, dans la contemplation, à voir du divin ou quelque beauté mystérieuse et sacré ; sans aucun prosélytisme, ses œuvres tendent à révéler et à célébrer Dieu (et son lien aux Hommes, particulièrement au peuple juif).
Mais l’on peut aussi penser que ces tableaux sont aussi destinés à Dieu lui-même, étant une manière de le « louer » et de le « célébrer ». Or dans son poème Pour l’autre clarté, Chagall écrit justement :
« Mon Dieu, la nuit est venue
Tu fermeras mes yeux avant le jour
Et moi je peindrai de nouveau
Des tableaux pour toi
Sur la terre et le ciel »
Comme Aragon le désigne tel « celui qui dit les choses sans rien dire », Chagall peint Dieu sans le peindre. Parce que l’artiste « ne sait pas comment le peindre » mais le recherche sans cesse (« À quoi ressemble-t-il, mon dieu, Où est-il » -poème Maintenant), parce qu’il est invisible mais omniprésent (pour Chagall), Dieu est au centre des œuvres « mystiques » de Chagall. C’est ce que nous allons voir dans l’huile sur toile La création de l’Homme de Marc Chagall.
Tu m’as rempli les mains – Chagall

Je suis ton fils
sur terre qui marche à peine
Tu m’as rempli les mains
de couleurs, de pinceaux
Je ne sais pas comment te peindre.
Faut-il peindre la terre, le ciel, mon cœur,
les villes en feu, les gens qui fuient,
mes yeux en pleurs
Où faut-il fuir, vers qui voler ?
Celui qui là-bas donne vie,
Celui qui envoie la mort
peut-être fera-t-il
que mon tableau s’illumine.

Poème de Marc Chagall, accompagnant son tableau La Création de l’homme (1956-1958)

Dans ce tableau, Chagall fait apparaître de nombreux éléments et scènes biblique ; la tentation d’Adam et Ève (en bas à droite), le songe de Jacob (l’échelle en haut à droite), Abraham, le Christ crucifié, le don de Tables de la loi… Et bien sûr, au premier plan, un ange portant Adam endormi, représentant ainsi la genèse, la création de l’Homme, mais aussi l’acte de création en lui-même, car les traits de l’ange (qui d’ailleurs porte un pantalon) soulignent l’identification de Chagall avec celui-là ; Chagall est créateur et porteur du message divin par sa peinture.
La (grande) moitié inférieure du tableau n’est pratiquement que bleue : c’est la couleur du songe, du sommeil, du rêve, et ça peut aussi représenter le ciel, ou plus probablement la terre qui, rappelons-le, est « bleue comme une orange » (d’après le poète Paul Éluard).

Le jaune dans la partie supérieure gauche représente la lumière divine, le jour, l’allégresse (qui prends d’ailleurs le peuple de dieu).
La couleur blanche, elle, représente la présence divine, ineffable et transparente. Le soleil tournoyant et polychrome peut représenter la vie (et ainsi Dieu ?), où une puissance divine qui emporte tous les protagonistes bibliques et le peuple de Dieu avec elle.
Les mains de dieu, sortant de la nuée blanche, apparaissent pour donner dans la lumière jaune sa parole divine, les tables de la loi.
Cette même représentation de Dieu par ce geste de don, par ces mains divines sortant d’une nuée vers la lumière, se retrouve très semblablement dans le tableau Moise recevant les tables de la loi.
Pour Chagall, qui a été nourri du courant de l’Hassidisme, Dieu est partout, et se reflète particulièrement dans sa création. Sa présence divine est alors représentée par les mains offrants la loi, par les anges, dans le feu, la lumière et le soleil coloré et tournoyant qui emporte avec lui le peuple juif, dans l’oiseau du ciel, dans son peuple réjoui…
Ce n’est donc pas seulement un bout du tableau qui représente Dieu : dans ce tableau, on a un Dieu quasiment absent (il n’y a que ses bras ou ses actions qui sont représentées), mais aussi une omniprésence de Dieu, à la fois dans la symbolique, dans le reflet de sa création et dans l’idée générale du tableau qui représente toute l’histoire (biblique) fusionnelle et complexe de la relation d’amour entre dieu et les hommes. Chagall voulait d’ailleurs justement faire de cette œuvre un idéal d’amour.

Cependant, Chagall, dans d’autres œuvres, représente Dieu de manière plus «concentrée », moins dissimulée (sans pour autant « peindre sa face »), même si encore une fois, l’ensemble du tableau concoure à sa compréhension et à sa révélation. C’est le cas de l’huile sur toile de 1961 Adam et Ève Chassés du paradis.
Dans ce tableau, la couleur verte prédomine, afin de représenter le jardin d’Éden qui est d’ailleurs littéralement « sans-dessus-dessous », renversé et bouleversé par la faute. En effet, les arbres sont renversés, des oiseaux à tête de bouc ou de vaches s’envolent, de même que des poissons ailés tombés du fleuve et des silhouette humaines fuyantes sont aux coins du tableau. Au centre, un ange blanc chasse Adam et Ève du paradis, semblant leur montrer la direction. Ève et Adam, comme porté par un coq rouge (qui symboliserait la vitalité), s’en vont par la droite. Au-dessus d’eux, très discrètement, s’est représenté Chagall lui-même, peignant.
Mais si le tableau est fourni d’autant de détail, c’est le bouquet lumineux qui capte directement toute l’attention. En effet, Chagall établie une ligne de force et de lumière dans ce bouquet, qui représenterait l’arbre de vie, en jouant sur les contrastes des couleurs (les rouges et les jaunes du bouquet se détachent clairement du fond aux couleurs froides). Ce bouquet lumineux représente l’arbre de vie mais rappelle aussi le buisson ardent, symbole donc de la présence divine. Il est surmonté d’une boule blanche, qui symboliserait la parole divine. La forme circulaire peut nous renvoyer à la perfection, aux astres, ou, par analogie seulement, l’hostie donnée dans les messes chrétiennes.

Ce bouquet fait lumineusement apparaître le divin (présent-absent), et cette représentation fait écho à une partie du poème Comme un barbare de Chagall :
« C’est d’après toi que je peins
Fleurs, forêts, gens et maisons
Comme un barbare je colore ta face
Nuit et jour je te bénis ».
Ce bouquet divin, plein de vitalité, représente de façon très positive et très marquée la figure de Dieu.
Ainsi, la couleur, qui est fondamentale dans le travail de Chagall, étant un vecteur puissant d’émotion et d’impression, une sorte de parole puissante et silencieuse, permet à Chagall de transmettre l’irrévélable et de représenter Dieu.
Picasso dira d’ailleurs de Chagall :
« Après la mort de Matisse, Chagall est le seul artiste à avoir vraiment compris l’essence de la couleur. Depuis Renoir aucun artiste n’a eu le sens de la lumière comme lui ».

Mais dieu, dans le travail de Chagall, est aussi présent par l’action même, le sujet même du tableau. Les très nombreux éléments symboliques (subjectifs ou universels) – animaux, anges, personnages bibliques, couleurs, échelles et chandelier… – tendent tous à le révéler. Chez Chagall, Dieu est révélé par et dans sa création.

Il est intéressant de voir comment l’irreprésentable (non seulement pour des questions de « capacités » mais aussi de droit : Chagall, juif profondément croyant, n’a pas le droit de représenter Dieu) reste concrètement irreprésenté, mais, paradoxalement, amplement révélé. Ces tableaux sont des poèmes et prières silencieux, sincères et libres, réponse possible à la question de l’impossibilité de dire Dieu.


Si vous aimez Chagall, et si, un jour, vous allez vers l’Alsace,
choisissez de passer par la petite ville de Sarrebourg. Chagall y a conçu un gigantesque vitrail bleu qui est une merveille, par lequel il conclut son œuvre : Per visibilia, ad invisibilia…
Par les choses visibles, accéder aux choses invisibles !
FIN